La peur de la blouse blanche
Quand le corps se souvient trop bien.
Ce matin, j’avais rendez-vous chez ma médecin généraliste pour renouveler toutes mes prescriptions (médicaments, séances de kinésithérapie…)
J’ai une généraliste vraiment très gentille et compréhensive avec qui tout se passe toujours très bien.
Cependant, même si je sais parfaitement que me rendre à son cabinet médical n’est pas la mer à boire, il y a toujours une partie de moi qui appréhende.
Vous connaissez le syndrome de la blouse blanche? Suivez-moi, je vous explique:
On pourrait croire qu’avec le temps, on s’habitue. Aux couloirs d’hôpital, à l’odeur de désinfectant, aux regards pressés des soignants. On pourrait croire qu’à force d’entrer et sortir des blocs, de consulter un énième spécialiste, de dormir des semaines dans une chambre sordide et sans âme, on finit par ne plus rien ressentir. On devient une patiente "expérimentée", paraît-il.
Mais il suffit parfois d’un bip, d’un badge, d’une porte vitrée qui se referme, d’une odeur, de mots entendus dans un cabinet médical, de pleurs d’enfants qui n’aiment pas la visite chez le docteur… pour que tout revienne.
Le syndrome de la blouse blanche, ce n’est pas juste le stress d’un rendez-vous médical. C’est une mémoire vive qui s’active malgré soi.
J’ai vécu mes plus grosses opérations chirurgicales orthopédiques dans les années 80-90. Une époque où la douleur de l’enfant n’était pas prise au sérieux. On disait que ça allait passer. On me souriait doucement, parfois on me riait carrément au nez. Quand je disais que j’avais mal, on me répondait que je faisais de la comédie. Que j’étais « sensible ». Que j’exagérais. Alors j’ai appris à me taire, à ravaler mes larmes, à faire comme si. Et ce silence forcé, cette solitude face à la douleur, laissent des traces profondes. Mon corps s’en souvient encore.
Quand on a grandi entre les hôpitaux, quand notre fauteuil roulant est devenu notre complice de tous les jours, on connaît bien ce drôle de mélange : on est reconnaissant envers la médecine, mais on en a peur aussi. Peur du verdict. Peur d’avoir mal. Peur de ne pas être entendue.
Et aussi : peur qu’on réduise tout à notre fauteuil.
Il y a les médecins qui ne regardent que la radio, pas le visage. Ceux qui nous parlent comme à une fiche technique. Ceux qui pensent qu’on a déjà tout vu, tout compris, qu’on n’a plus besoin d’être rassurée.
Ou pire : ceux qui nous infantilisent. « Vous êtes courageuse », disent-ils parfois, avec ce ton sucré qui colle aux doigts.
La vérité ? Pour ma part, je n’ai pas toujours envie d’être courageuse. Je pense parler sans me tromper au nom de toutes les personnes handicapées, pour dire que finalement, on voudrait juste qu’on nous voit. Qu’on nous écoute. Qu’on nous parle sans jargon, sans pitié, sans survoler l’essentiel.
Je suis montée sur tant de tables d’examen et de tables d’opération que j’ai arrêté de les compter.
J’ai laissé des bouts de moi dans chaque service, chaque salle d’attente. Et pourtant, aujourd’hui encore, avant un rendez-vous, j’ai le cœur qui bat comme un dingue. Je vérifie mille fois l’heure, je transpire, je perds mes mots. Mon corps se souvient, même si ma tête essaie de faire bonne figure.
Ce n’est pas une faiblesse. C’est humain.
Alors, si toi aussi, tu ressens cette angoisse silencieuse dès que tu entres dans un cabinet médical, sache que tu n’es pas seul(e) Qu’il y a toute une communauté invisible de patients en fauteuil, de corps marqués, de cœurs fatigués mais vivants, qui se reconnaissent dans ce frisson-là.
Et si tu es soignant(e), ou que tu accompagnes quelqu’un en fauteuil, n’oublie pas : une voix douce, une parole sincère et rassurante, un regard attentif… ça peut tout changer. Ça peut même, un jour, un peu désamorcer la peur de la blouse blanche.
Parce que derrière le fauteuil, il y a une personne. Et elle mérite bien plus qu’un protocole.