Dix ans de maternité en fauteuil roulant : une histoire d’amour, de force et d’espoir

 
 

Dans dix jours, ma fille aura 10 ans. Et en repensant à ces dix années passées, je me rends compte du chemin parcouru. Dix ans de joies, de doutes, de découvertes, et surtout d’amour. Dix ans aussi de maternité vécue en fauteuil roulant. Une aventure parfois semée d’embûches, mais surtout pleine de lumière.

 

Le rêve d’une maternité “possible”

J’ai toujours voulu devenir maman. Mais parfois, je pensais que ça ne m’arriverait pas.

Je m’imaginais pourtant souvent ce que je mettrais en place pour être une bonne maman “si un jour…” ça arrivait.

Plus les années passaient, plus ce désir grandissait. Je voyais mes neveux naître, mes sœurs pouponner, et je ne voulais plus me sentir différente simplement parce que j’étais handicapée. Dans ma tête, je m’étais fixé un but : à 32 ans maximum, j’aurai un enfant.

Et j’ai réussi.

Le 20 novembre 2015, à 32 ans et un mois, je suis devenue maman d’une petite fille.

 

Une grossesse entre défis et bonheur

Ma grossesse n’a pas été de tout repos : nausées et vomissements pendant six mois, diabète gestationnel, baisses de tension, auxiliaires de vie maladroites lors des transferts, maux de dos terribles… Et pourtant, j’en garde un souvenir profondément heureux.

Je portais la vie. Et malgré mon handicap, je me sentais forte.

De plus, miracle de la grossesse :  Moi, la migraineuse chronique, je n’ai pas eu une seule migraine pendant neuf mois ! Un vrai miracle vraiment. Il parait que ça arrive aux migraineux parfois. Vive les hormones ou je ne sais quoi.

Pour une fois, je me sentais différente en bien. Je n’étais plus seulement une femme en fauteuil roulant : j’étais avant tout une future mère.

Moi qui de part mon lourd passé médical ai toujours eu une peur phobique des hôpitaux, j’y allais sereinement, parce que cette fois, ce n’était pas pour moi. C’était pour elle.

Et j’ai eu la chance d’être suivie par une gynécologue extraordinaire, qui ne m’a jamais regardée autrement, qui croyait en moi, en ma capacité à donner la vie.

 

Le jour où je suis devenue “maman comme les autres”

À cause de mes problèmes de hanches et de bassin, j’ai accouché par césarienne programmée. Le papa a pu être présent, et tout s’est bien passé.

Quand je suis remontée du bloc, ma fille dans les bras, allongée sur mon lit qu’on poussait dans les couloirs, j’ai croisé le regard d’une femme assise sur un banc. Elle m’a souri, comme pour dire : C’est mignon, une jeune maman et son bébé.

À cet instant précis, je me suis dit : Personne ne voit la femme en fauteuil. Je suis juste une maman comme les autres.

 

Le retour brutal à la réalité

Mais le rêve a vite pris fin.

Le lendemain, alors que j’étais seule quelques heures, une sage-femme m’a refusé le droit de donner le biberon à ma fille. “On ne sait jamais vous pourriez la faire tomber.”

Je lui ai expliqué que j’avais déjà donné le biberon, qu’il fallait juste qu’elle me la mette dans les bras, que je pouvais le faire sans danger. Elle a refusé, a pris ma fille et s’en est allée.

Ce qu’elle ne savait pas, c’est qu’à six ans déjà, je donnais le biberon à ma petite sœur. J’avais appris très tôt à tenir un bébé, à le rassurer, à l’aimer. Je n’ai jamais douté de mes capacités à ce niveau-là. Ce sont les autres, à ce moment-là qui m’ont fait douter.

C’est pour cela que j’aimerais que le personnel soignant, dans les maternités comme ailleurs, apprenne à écouter davantage les personnes handicapées. Qu’on arrête de présupposer leurs limites avant même d’avoir vu ce dont elles sont capables.

Je me suis retrouvée seule dans ma chambre, les bras vides. Et j’ai craqué.

Les jours suivants, j’ai vu qu’on expliquait tout au papa : comment changer une couche, comment donner le bain… Moi, je regardais de loin. Même la fameuse “chambre PMR” était mal pensée : impossible d’approcher la table à langer avec mon fauteuil.

J’ai sombré dans un baby blues intense, pendant plusieurs semaines.

Je me sentais inutile, coupable, différente pour de vrai cette fois.

Je croyais que ma fille s’attacherait plus à son père, à mes auxiliaires, à tout le monde sauf moi.

Il est si important qu’on prenne le baby blues au sérieux.

On en parle souvent comme d’une petite tristesse passagère, mais pour certaines mères, c’est un gouffre invisible.

Et pour les mamans handicapées, je crois que c’est encore plus difficile, parce que le monde ne nous donne pas vraiment notre place.

On se sent parfois comme des intruses dans un rôle pourtant naturel.

Moi qui essaye toujours d’être d’un naturel joyeux et optimiste, je ne me reconnaissais plus.

Et j’ai eu beaucoup de mal à trouver du soutien, à me sentir comprise.

Ce n’était pas seulement la fatigue, c’était le poids du regard des autres, des doutes qu’on plaçait sur moi sans même s’en rendre compte

 

Retrouver ma place, doucement

Et puis, un jour, les larmes se sont taries. J’ai appris, à mon rythme, à m’occuper de ma fille avec mes moyens.

Je lui ai transmis ce que je savais faire de mieux : la passion des livres, l’imagination, la douceur.

À cinq ans, elle savait déjà lire car je lui ai enseigné la lecture. C’était notre moment. Quand elle avait envie d’apprendre, elle me disait de sa petite voix: “Maman, on fait les lettres.” Et nous partagions cela avec bonheur !

Aujourd’hui, elle a presque dix ans, et nous partageons une complicité précieuse.

Mon handicap l’a rendue plus mature, plus attentive, plus ouverte. Et je crois que c’est une belle richesse.

 

Dans un monde idéal…

Dans un monde idéal, j’aurais aimé avoir deux enfants. Ayant 4 soeurs, je sais qu’avoir une fratrie dans l’enfance c’est précieux et ça fait de beaux souvenirs…

Mais je ne l’ai pas retenté, car je savais à quel point ce serait un sacré défi. La grossesse, la fatigue, l’organisation, tout cela demande déjà énormément d’énergie. Et puis, avec un enfant de plus, il aurait fallu un logement plus grand, accessible et adapté. Ce qui est loin d’être simple à trouver, surtout quand on a un budget serré. Après la naissance de ma fille nous avons eu la chance de pouvoir trouver un appartement assez grand et accessible dans une ville plus calme. Mais avec un bébé de plus nous aurions vite été à l’étroit.

L’immobilier et le handicap ne font pas bon ménage à moins d’être très riche (sujet d’une prochaine chronique peut-être…), donc on se contente de ce qu’on a.

Et puis, soyons honnête : quand on devient maman, on s’inquiète tout le temps pour un… alors pour deux, je n’imagine même pas !

Je craignais aussi de revivre le baby blues, cette période si difficile après la naissance.

 

Cela dit au fond, ce n’est pas seulement mon corps ou mes conditions de vie qui m’ont freinée. C’est aussi le monde actuel.

L’économie qui se dégrade, la peur de l’avenir, les tensions, les attentats.

En novembre 2015, alors que j’étais à une semaine d’accoucher, la France vivait l’horreur des attentats du Bataclan.

Je regardais la télévision, terrifiée, le ventre rond, et je me souviens m’être dit :

“Mais dans quel monde vais-je faire naître ma fille ?”

Je l’ai imaginée, à 19 ou 20 ans, à un concert avec des amis… et ne jamais en revenir.

Cette pensée m’a glacée.

Aujourd’hui encore, je sais que le jour où elle me demandera pour la première fois d’aller à un concert, j’y repenserai. J’aurai peur.

Inutilement, peut-être. Mais le monde actuel ne respire pas la sérénité, ni la joie, pour les générations à venir.

Et c’est sans doute aussi une des raisons pour laquelle je n’ai pas cherché plus que cela à avoir de deuxième enfant. Parce que ce monde, parfois, me fait peur.

 

Cependant, il m’arrive de me dire qu’une seconde maternité m’aurait peut-être aussi appris à faire autrement : à ne pas reproduire les mêmes erreurs, à avoir plus confiance en moi, à ne pas toujours laisser les valides faire “parce qu’ils pensent que je n’y arriverai pas”.

Mais c’est ainsi. Aujourd’hui, je ne regrette rien et je me dis que je suis même chanceuse.

J’ai une fille, et c’est déjà merveilleux.

Je peux lui donner tout mon amour, me consacrer pleinement à elle, et j’espère qu’un jour elle comprendra à quel point elle a été, et reste, le plus beau cadeau de ma vie. 💕

 

Il m’arrive encore de culpabiliser. De ne pas pouvoir me lever la nuit quand elle est malade. De ne pas pouvoir lui tresser ses beaux cheveux longs, faute de la dextérité d’une maman valide. De ne pas pouvoir l’emmener plus facilement en vacances, comme j’aimerais le faire.

Mais j’essaie de compenser autrement. Par ma présence, mes mots, mes bras quand elle vient se blottir, mes encouragements quand elle doute. Je fais de mon mieux, simplement. Et je crois que c’est tout ce qu’une maman peut faire.

 

Dix ans après

Dix ans que je suis maman. Dix ans d’amour, de fatigue, de fous rires et de petites victoires.

La préadolescence arrive avec son lot de défis, mais nous restons unies.

Je repense parfois à toutes ces personnes bien intentionnées qui me disaient : “Ce n’est pas grave si tu n’as pas d’enfants, avec ton handicap…”

Et je souris. Parce qu’ils avaient tort.

 

🌷 Un message pour les futures mamans handicapées

Si tu lis ces lignes et que tu doutes, si tu crois que ton handicap t’empêche d’être mère, sache que c’est faux.

Ce sera peut-être différent, parfois plus compliqué, mais c’est possible.

Tu trouveras ton propre chemin, ton propre équilibre. Tu feras à ta manière, et ce sera bien.

La maternité n’a pas un seul modèle. Elle a mille visages, et le tien en fait partie.

Crois en toi. Crois en ce rêve. Parce qu’un jour, toi aussi, tu te diras :

“Je ne suis pas une femme en fauteuil, je suis une maman, tout simplement.”  ❤️

Finalement, je dirais que malgré tout il ne faut pas cesser d’y croire parce qu’au milieu d’un monde souvent inquiétant, il y a toujours un peu de lumière, celle qu’on porte, celle qu’on transmet, celle d’un enfant qui nous rappelle pourquoi on continue d’y croire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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🍂 Chronique d’automne en fauteuil 🍂