Pantin, employeuse, maman : chronique d’une vie sous assistance
J’ai écrit ce texte il y a quelques temps déjà. Juste pour moi, dans un moment de ras-le-bol, de trop-plein. Une sorte de soupape, un défouloir personnel. Et puis… je l’ai relu. Et j’ai compris que ce que je ressentais alors, ce que je vis encore trop souvent, méritait d’être dit, entendu, compris.
Alors aujourd’hui, je l’ai repris, retravaillé, même un peu raccourci car il y en avait à dire, et adapté pour en faire une chronique ici. Parce que parfois, mettre des mots sur les choses et les faire comprendre à d’autres c’est important…
Je ne suis pas un pantin.
Je ne suis pas un cobaye.
Je ne suis pas une charge.
Et pourtant, certains jours, j’en ai cruellement l’impression.
Attention, ce n’est pas une plainte. Ce texte, c’est un cri du cœur. Une manière de vider mon sac et, surtout, de montrer une réalité qu’on voit trop peu. Parce que derrière la vie d’une personne en situation de handicap moteur, il y a un quotidien rempli de défis invisibles. Un quotidien où la dépendance ne se limite pas aux gestes du matin ou du soir. C’est une charge permanente, une cohabitation avec des règles qui ne sont jamais vraiment les tiennes.
De l’autonomie… version fauteuil roulant
Je suis née avec un handicap moteur. Très tôt, j’ai appris à composer avec la dépendance physique. Mes parents m’ont énormément aidée. Et puis un jour, eux aussi ont vieilli. Les transferts devenaient difficiles, les douleurs de dos s’invitaient à la fête. Alors j’ai fait comme beaucoup : j’ai pris mon indépendance. Comme n’importe quel jeune adulte.
Enfin… presque.
Car l’indépendance quand tu es en fauteuil, c’est tout un art. Tu veux vivre comme les autres : sortir avec tes amis, tomber amoureuse, faire des projets, voyager, fonder une famille. Tu veux être libre. Et tu le serais, si ta vie n’était pas minutée par les horaires d’une auxiliaire de vie.
Tu veux profiter d’une soirée ? Il faudra rentrer avant 21h, parce que l’aide à domicile passe à 21h. Comme Cendrillon. Sauf qu’à la place de pantoufles de vair, tu portes des chaussures orthopédiques.
Bienvenue dans le monde merveilleux de l’aide à domicile
À 25 ans, j’étais déjà entre deux mondes. Celui des jeunes valides, légers, insouciants. Et celui – beaucoup moins glamour – de l’emploi direct, des plannings d’aides humaines, des galères de remplacement, des auxiliaires de vie qui viennent et repartent. J’ai testé les prestataires (le pire). Puis je me suis lancée dans l’emploi direct via le CESU. Pas parfait, mais plus de contrôle.
Depuis, je suis une employeuse sans entreprise. Je gère tout : recrutement, contrats, déclarations, plannings, payes, absences, remplacements... Et non, personne ne me paie pour ça.
Être aidée, oui. Mais pas au prix de ma dignité.
Je suis maman aujourd’hui. Je gère une maison, une enfant, des douleurs chroniques, des rendez-vous médicaux, des démarches administratives. Et au milieu de tout ça, je dois rester disponible pour les besoins, envies ou limites physiques des personnes que j’emploie.
Par exemple ? On me dit :
– « Il faudrait utiliser un lève-personne, je veux me préserver. »
Mais moi aussi, je veux me préserver. Je veux pouvoir me lever en trois secondes, pas être sanglée, suspendue, déplacée comme une palette de chantier. Je veux juste pouvoir passer du lit au fauteuil avec un peu d’aide, pas avec un monte-charge et une déshumanisation intégrée.
Et ne me dites pas « Tu verras à 70 ans ! »
Je pèse environ 50 kg. J’ai été enceinte. Je n’ai jamais eu l’appétit d’un ogre. Mais aujourd’hui, je suis une femme, une maman, et j’ai encore une dignité. Ce genre de procédures, je les accepte oui, mais… quand ce sera inévitable. Pas maintenant.
Et si on parlait aussi de la charge mentale… des aidés ?
On parle souvent de la charge mentale des aidants. Et c’est vrai : leur travail est essentiel, épuisant, trop peu reconnu. Mais la charge mentale des personnes dépendantes, on en parle quand ?
Celle de devoir s’organiser en permanence autour des autres. De craindre que personne ne vienne. De devoir s’adapter à l’humeur, à la méthode, au matériel des autres… chez soi. Dans son intimité.
Combien de fois j’ai écouté, consolé, compris mes auxiliaires. Et je le referai.
Mais là, les recrutements je craque. Des exigences déconnectées de ma réalité. Des réflexions absurdes. Des menaces à peine voilées. Et ce sentiment désagréable que pour beaucoup, ce n’est plus un métier d’humain à humain. C’est un protocole. Une routine. Un service technique.
Moi aussi j’ai des rêves (et du ras-le-bol)
Mon rêve ?
Me lever seule. Préparer mon café seule. Me doucher sans qu’on touche mon corps. Partager le réveil de ma fille rien qu’à nous deux. Sortir quand je veux. Faire pipi quand je veux. Ne pas dépendre. Juste… être.
Mais ça, ce n’est pas ma réalité. Alors je m’adapte. Je continue. Avec gratitude pour toutes celles qui ont fait un bout de chemin avec moi. Mais aussi avec colère et inquiétude, car aujourd’hui, trouver une aide bienveillante, disponible, investie, c’est devenu mission presque impossible.
Alors oui, je suis une maman. Une femme. Une employeuse. Une résistante du quotidien.
Mais parfois, j’aimerais juste être une personne. Simplement. Entièrement.